« On joue ? » J'avais haussé un sourcil en observant ma meilleure amie. Elle était vraiment dérangée, parfois. Jouer au loto ? Et puis quoi encore ? J'étais le gars le plus malchanceux de cette planète, comment pouvais-je croire à cette connerie de loto ? Je ricanais donc bêtement tandis qu'elle me tendait un ticket à remplir. « La roue tourne, paraît-il. » Elle était sérieuse, c'était sans doute ça le pire. Non, le pire, c'est que j'ai accepté de remplir ce fichu ticket. Je ne savais absolument pas quels numéros jouer. Un instant, j'avais pensé aux numéros maudits de la série LOST, mais je crois bien que je suis assez maudit comme ça. Alors j'ai joué six numéros totalement banals : ma date de naissance, celle de ma mère et celle de ma meilleure amie.

« Tu veux bien mettre sur le tirage du loto, m'man ? » Ma mère me regarda comme si j'étais un peu plus illuminé que d'habitude, tandis que j'agitais mon ticket devant son nez pour lui faire comprendre que ce n'était pas une blague. Elle accepta de changer de chaîne, tandis que la présentatrice trop grande, trop blonde et trop bête se pavanait dans l'écran plat avec toutes ces boules qui tournaient dans cette cage à hamster. Je mentirais si je disais que je ne regardais que d'un oeil le tirage. Au contraire, mes yeux étaient rivés sur l'écran et ce n'était en aucun cas pour les atouts de la présentatrice. « Le numéro 29... » Ma mère lança un regard à mon ticket puis à moi. « Un seul numéro ça ne rapporte rien. » « Le 2... » Cette fois, ma mère saisit le ticket pour vérifier. Le 2 était bel & bien présent : « Cool, ça me fait déjà 10 euros. On mangera du poisson demain, maman ! » Ma mère semblait ne pas y croire. Ce n'étaient pourtant que dix euros. « Le numéro 31. » « Tu l'as aussi. » indiqua ma mère. « Simple coïncidence. » Cette fois, je sentais une boule naître dans le creux de ma gorge. Trois numéros sur six, c'était déjà pas mal. (...) Trois numéros, puis quatre, puis cinq. « Et enfin, le numéro 12. » « Bordel de merde. » Je ne pouvais pas avoir les six bons numéros. Ce n'était pas possible. Non, impossible. Juste totalement dingue. Moi, Aaron-Heathcliff Gibson, malchanceux depuis que l'infirmière m'avait fait tombé alors que je sortais du bide de ma mère, je ne pouvais pas voir la chance me sourire aujourd'hui. Surtout pas quand il s'agissait du jackpot du loto. « Interrogeons l'ordinateur pour savoir si nous avons un gagnant. (...) OUI ! Nous avons un gagnant du côté de Roswell qui gagne donc la jolie somme de deux millions et trois cent milles dollars. Félicitations ! » Je tournais tout doucement la tête vers ma mère qui semblait tout aussi abasourdie que moi. Je venais de passer de Joe La Poisse à Aaron Le Magnifique qui pourrait s'acheter un string en or. Fuck. C'était si bon la chance. « Aaron, écoute moi bien. Perds ce ticket et je te déshérite. » Merci maman pour ta confiance.

« Y'a un journaliste de télé qui veut t'interviewer. » Je regardais ma mère d'un air dépité tout en lâchant la manette de ma X-Box. « Merde, comment ils ont su que je suis le gagnant ? On était censé rien dire pour ne pas avoir d'ennuis. » Ma mère leva les yeux au ciel, signe qu'elle était exaspérée. « Ecoute, tu t'es acheté une superbe moto alors que tout le quartier sait que tu n'as pas un rond et que je ne veux plus te donner un centime si tu ne te trouves pas un appartement. Ca a attiré les soupçons, forcément. (...) Et Benjamin m'a raconté que deux minutes après le tirage, tous tes amis Facebook étaient au courant. » Je haussais les épaules en lui faisant signe de sortir de ma chambre. Je ne répondrais à aucun journaliste. Qu'ils aillent tous se faire foutre. D'ailleurs, que tous ces gens qui se considèrent soudainement comme mes amis aillent se faire foutre. Cet argent, je le consommerais égoïstement, et je les emmerde. Aucun d'entre eux ne pourra me causer d'ennuis. Enfin je crois.

« Tu devrais penser à laisser ta mère et à prendre ton propre appart'. » Je savais pertinemment que ma meilleure amie avait raison. Pourtant, je ne sais pas pourquoi, je n'arrivais pas à quitter le cocon familial. « J'aime bien cette maison, il faut croire. » Elle explosa de rire face à cet argument ridicule.